
VIVRE À DEUX
de Tariq RAMADAN
Mon frère, ma soeur,
Combien sont-ils à se préparer à vivre à deux, à former
un couple, à cheminer ensemble vers l'horizon d'une
famille qui prend corps et s'établit ?
Certains y pensent, d'autres déjà s'y sont engagés. Ici
ou là, des histoires. On est parfois ému par
l'expression des attentes et des espoirs infini des uns,
et tellement attristé à l'écoute de la douloureuse
expérience des autres. Peut-être es-tu toi aussi, ma
soeur, mon frère, en train de te préparer à vivre cette
étape de ta vie, le mariage, la moitié de ta foi. Ou
peut-être t'es tu déjà engagé(e) dans cette voie à deux
où ton attente, grâce à Dieu, s'est peut être comblée
mais au cours de laquelle, parfois, quelques doutes ont
pu surgir, tu t'attendais à autre chose.
Mon frère, ma soeur, il ne faut rien idéaliser...
l'époux parfait ou l'épouse parfaite n'existe que dans
tes rêves. A toi comme à chacun, Dieu à donné des
qualités de cour et d'intelligence ; à toi comme à
chacun, il a donné de porter des défauts, des
déficiences, des manques.
La perfection de l'humain n'est ni en toi, ni à côté de
toi, ni devant toi. Il ne suffit pas de partager la même
foi, les mêmes principes et les mêmes espoirs pour
former un couple idéal. Combien ai-je vu de jeunes
couples s'illusionner sur leur future entente, sur leur
immanquable harmonie, sur leur nécessaire réussite
"puisque nous sommes musulmans". Comme si leur union
n'était que la rencontre de deux univers fondés sur des
principes que l'on respecte ou des règles que l'on
applique... Une illusion, une vraie, qui hier promettait
un petit paradis terrestre, et aujourd'hui peut faire
vivre un infernal déchirement.
Combien parlent des "principes des mariages en islam" et
vivent la réalité des sensibilités déchirées, meurtries,
frustrées...
Aujourd'hui, davantage qu'hier, vivre en couple est un
véritable défi.
Autour de nous, les hommes et les femmes se rencontrent
et se quittent dans une société moderne qui confond la
liberté et l'absence d'exigence, l'amour et la légèreté.
Au cour de ce quotidien, il te faut trouver les moyens
de relever le défi de vivre à deux. Te préparer,
apprendre et constamment essayer d'aller à la rencontre
de l'autre avec patience, avec profondeur, avec douceur.
Certes, les principes de l'islam vous unissent, ou vous
uniront, mais chaque jour, il faut te souvenir que
l'être qui vit à tes côtés est, en soi, un univers avec
son histoire, son équilibre, ses blessures, sa
sensibilité, ses espoirs... Apprends à écouter, apprends
à comprendre, à observer, à accompagner...
Vivre à deux est l'épreuve de toutes les patiences,
l'épreuve de l'attention, de l'écoute des silences, du
dépassement des colères, de l'apprivoisement des
défauts, du pansement des blessures. De chacun, à deux.
Ce n'est pas facile... un effort qui prend sens au cour
de la plus profonde des spiritualités, un jihad au sens
le plus intense du terme : le jihad de l'amour qui
rappelle que les sentiments s'entretiennent,
s'approfondissent, s'enracinent à force de défis
relevés, de patience alimentée et d'exigences partagées.
La patience et l'attention, au cour du couple, mènent à
la lumière, s'il plait à Dieu.
Souviens toi, mon frère, ma soeur, du dernier des
prophètes , exemple pour l'éternité, si attentif, si
doux, si patient. Il ne rappelait pas seulement des
principes, il illuminait un espace de sa présence, de
son écoute, de son amour. Avant d'être la mère de ses
enfants, son épouse était une femme, sa femme, un être
que chaque jour il découvrait, qu'il accompagnait et qui
l'accompagnait ; sujet de son attention témoin de son
amour. Il savait le silence, la force d'une caresse, la
complicité d'un regard, la bonté d'une attention et
l'apaisement d'un sourire.
Il y a ceux qui ont tant idéalisé l'autre qu'ils n'ont
jamais vraiment vu leur conjoint, il en est d'autres qui
trop vite se sont quittés sans jamais avoir pris le
temps de se connaître. Et tous ont bien pu rappeler les
principes de l'islam, eux qui ont vécu à côté de sa
profondeur, de son souffle, de sa spiritualité, de son
essence. Vivre à deux, forger une relation, patienter
dans l'adversité, aimer au point de supporter, enraciner
à force de réformer... est une initiation à la
spiritualité.
Savoir être seul avec Dieu est une promesse de
mieux-être à deux. Un défi, une épreuve, loin de
l'idéal, près des réalités.
Ma soeur, mon frère, il faut te préparer à vivre l'une
des plus belles épreuves de la vie. Elle exige tout de
toi, de ton cour, de ta conscience, de tes efforts. La
route est longue, il faut apprendre à exiger, apprendre
à partager, savoir pardonner. A l'infini.
Des choses permises par Dieu, le divorce est la plus
détestée. Vivre à deux est difficile : rappelle-toi que
ta femme est une femme avant d'être la mère de tes
enfants ; rappelle-toi que ton mari est un homme avant
d'être le père de tes enfants... Savoir vivre à deux,
être deux au sein même de sa famille, devant Dieu comme
devant ses enfants.
Au cour de cette rencontre, à la source de ces efforts,
naît et fleurit le sens de la protection : elles sont un
vêtement pour vous, vous êtes un vêtement pour elles.
Savoir la patience, apprendre l'affection, offrir le
pardon, c'est accéder à la spiritualité des protégés, à
la proximité des rapprochés. Alors la foi devient ta
lumière et "sa" présence ta protection.
"Sa" présence ? Celle de ta femme, celle de ton mari ;
l'épreuve de ton cour, l'énergie de ton amour, la moitié
de ta foi.
Je prie Dieu pour que cet amour soit l'école de tes
efforts et la lumière de ta patience.

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